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des proportions plus restreintes, — et toujours par le même procédé, — pour chacune de ses parties, partout où cela a été nécessaire et possible. Si par exemple de nombreux idiomes germaniques sont attestés directement par des documents, le germanique commun d’où ces divers idiomes sont sortis ne nous est connu qu’indirectement par la méthode rétrospective. C’est de la même manière encore que les linguistes ont recherché, avec des succès divers, l’unité primitive des autres familles (voir p. 263).

La méthode rétrospective nous fait donc pénétrer. dans le passé d’une langue au delà des plus anciens documents. Ainsi l’histoire prospective du latin ne commence guère qu’au iiie ou au ive siècle avant l’ère chrétienne ; mais la reconstitution de l’indo-européen a permis de se faire une idée de ce qui a dû se passer dans la période qui s’étend entre l’unité primitive et les premiers documents latins connus, et ce n’est qu’après coup qu’on a pu en tracer le tableau prospectif.

Sous ce rapport, la linguistique évolutive est comparable à la géologie, qui, elle aussi, est une science historique ; il lui arrive de décrire des états stables (par exemple l’état actuel du bassin du Léman), en faisant abstraction de ce qui a pu précéder dans le temps, mais elle s’occupe surtout d’événements, de transformations, dont l’enchaînement forme des diachronies. Or en théorie on peut concevoir une géologie prospective, mais en fait et le plus souvent, le coup d’œil ne peut être que rétrospectif ; avant de raconter ce qui s’est passé sur un point de la terre, on est obligé de reconstruire la chaîne des événements et de rechercher ce qui a amené cette partie du globe à son état actuel.

Ce n’est pas seulement la méthode des deux perspectives qui diffère de façon éclatante ; même au point de vue didactique, il n’est pas avantageux de les employer simultanément dans un même exposé. Ainsi l’étude des changements phonétiques offre deux tableaux très différents selon