Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du suffixe : le radical obtenu par la suppression de cet élément est un mot incomplet ; exemple : franç. organisation : organis-, all. Trennung : trenn-, grec zeûgma : zeug-, etc., et d’autre part, le suffixe lui-même n’a aucune existence autonome.

Il résulte de tout cela que le radical est le plus souvent délimité d’avance dans son commencement : avant toute comparaison avec d’autres formes, le sujet parlant sait où placer la limite entre le préfixe et ce qui le suit. Pour la fin du mot il n’en est pas de même : là aucune limite ne s’impose en dehors de la confrontation de formes ayant même radical ou même suffixe, et ces rapprochements aboutiront à des délimitations variables selon la nature des termes rapprochés.

Au point de vue de l’analyse subjective, les suffixes et les radicaux ne valent que par les oppositions syntagmatiques et associatives : on peut, selon l’occurrence, trouver un élément formatif et un élément radical dans deux parties opposées d’un mot, quelles qu’elles soient, pourvu qu’elles donnent lieu à une opposition. Dans le latin dictātōrem, par exemple, on verra un radical dictātōr-(em), si on le compare à consul-em, ped-em, etc., mais un radical dictā-(tōrem) si on le rapproche de lic-tō-rem, scrip-tōrem, etc., un radical dic-(tātōrem), si l’on pense à pō-tātōrem, cantā-tōrem. D’une manière générale, et dans des circonstances favorables, le sujet parlant peut être amené à faire toutes les coupures imaginables (par exemple : dictāt-ōrem, d’après am-ōrem, ard-ōrem, etc., dict-ātōrem, d’après ōr-ātōrem, ar-ātōrem, etc.). On sait (voir p. 233) que les résultats de ces analyses spontanées se manifestent dans les formations analogiques de chaque époque ; ce sont elles qui permettent de distinguer les sous-unités (racines, préfixes, suffixes, désinences) dont la langue a conscience et les valeurs qu’elle y attache.