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Il est souvent difficile de dire si une forme analysable est née par agglutination ou si elle a surgi comme construction analogique. Les linguistes ont discuté à perte de vue sur les formes *es-mi, *es-ti, *ed-mi, etc., de l’indo-européen. Les éléments es-, ed-, etc., ont-ils été, à une époque très ancienne, des mots véritables, agglutinés ensuite avec d’autres : mi, ti, etc., ou bien *es-mi, *es-ti, etc., résultent-ils de combinaisons avec des éléments extraits d’autres unités complexes du même ordre, ce qui ferait remonter l’agglutination à une époque antérieure à la formation des désinences en indo-européen ? En l’absence de témoignages historiques, la question est probablement insoluble.

L’histoire seule peut nous renseigner. Toutes les fois qu’elle permet d’affirmer qu’un élément simple a été autrefois deux ou plusieurs éléments de la phrase, on est en face d’une agglutination : ainsi lat. hunc, qui remonte à hom ce (ce est attesté épigraphiquement). Mais dès que l’information historique est en défaut, il est bien difficile de déterminer ce qui est agglutination et ce qui relève de l’analogie.


    qui a donné en grec hippó-dromo-s, etc., est né par agglutination partielle à une époque de l’indo-européen où les désinences étaient inconnues (ekwo dromo équivalait alors à un composé anglais tel que country house) ; mais c’est l’analogie qui en a fait une formation productive avant la soudure absolue des éléments. Il en est de même du futur français (je ferai, etc.), né en latin vulgaire de l’agglutination de l’infinitif avec le présent du verbe habēre (facere habeō = « j’ai à faire »). Ainsi c’est par l’intervention de l’analogie que l’agglutination crée des types syntaxiques et travaille pour la grammaire ; livrée à elle-même, elle pousse la synthèse des éléments jusqu’à l’unité absolue et ne produit que des mots indécomposables et improductifs (type hanc hōramencore), c’est-à-dire qu’elle travaille pour le lexique (Éd.).