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rien n’est changé puisqu’il ne remplace rien ; la disparition de honōs n’est pas davantage un changement, puisque ce phénomène est indépendant du premier. Partout où l’on peut suivre la marche des événements linguistiques, on voit que l’innovation analogique et l’élimination de la forme ancienne sont deux choses distinctes et que nulle part on ne surprend une transformation.

L’analogie a si peu pour caractère de remplacer une forme par une autre, qu’on la voit souvent en produire qui ne remplacent rien. En allemand on peut tirer un diminutif en -chen de n’importe quel substantif à sens concret ; si une forme Elefantchen s’introduisait dans la langue, elle ne supplanterait rien de préexistant. De même en français, sur le modèle de pension : pensionnaire, réaction : réactionnaire, etc., quelqu’un peut créer interventionnaire ou répressionnaire, signifiant « qui est pour l’intervention », « pour la répression ». Ce processus est évidemment le même que celui qui tout à l’heure engendrait honor : tous deux appellent la même formule :

réaction : réactionnaire = répression : x.
x = répressionnaire.

et dans l’un et l’autre cas il n’y a pas le moindre prétexte à parler de changement ; répressionnaire ne remplace rien. Autre exemple : d’une part, on entend dire analogiquement finaux pour finals, lequel passe pour plus régulier ; d’autre part, quelqu’un pourrait former l’adjectif firmamental et lui donner un pluriel firmamentaux. Dira-t-on que dans finaux il y a changement et création dans firmamentaux ? Dans les deux cas il y a création. Sur le modèle de mur : emmurer, on a fait tour : entourer et jour : ajourer (dans « un travail ajouré ») ; ces dérivés, relativement récents, nous apparaissent comme des créations. Mais si je remarque qu’à une époque antérieure on possédait entorner et ajorner, construits sur torn et jorn, devrai-je changer d’opinion