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Mais quelle est la nature des phénomènes analogiques ? Sont-ils, comme on le croit communément, des changements ?

Tout fait analogique est un drame à trois personnages, qui sont : 1° le type transmis, légitime, héréditaire (par exemple honōs) ; 2° le concurrent (honor) ; 3° un personnage collectif, constitué par les formes qui ont créé ce concurrent (honōrem, ōrātor, ōrātōrem, etc.). On considère volontiers honor comme une modification, un « métaplasme » de honōs ; c’est de ce dernier mot qu’il aurait tiré la plus grande partie de sa substance. Or la seule forme qui ne soit rien dans la génération de honor, c’est précisément honōs !

On peut figurer le phénomène par le schéma :

formes transmises forme nouvelle
honōs honōrem,
(qui n'entre pas ōrātor, ōrātōrem, honor
en ligne de compte). etc. (groupe générateur).

On le voit, il s’agit d’un « paraplasme », de l’installation d’un concurrent à côté d’une forme traditionnelle, d’une création enfin. Tandis que le changement phonétique n’introduit rien de nouveau sans annuler ce qui a précédé (honōrem remplace honōsem), la forme analogique n’entraîne pas nécessairement la disparition de celle qu’elle vient doubler. Honor et honōs ont coexisté pendant un temps et ont pu être employés l’un pour l’autre. Cependant, comme la langue répugne à maintenir deux signifiants pour une seule idée, le plus souvent la forme primitive, moins régulière, tombe en désuétude et disparaît. C’est ce résultat qui fait croire à une transformation : l’action analogique une fois achevée, l’ancien état (honōs : honōrem) et le nouveau (honor : honōrem) sont en apparence dans la même opposition que celle qui résulte de l’évolution des sons. Cependant, au moment où naît honor,