Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si maintenant on prétend que le pronom latin est représenté en français par deux formes : me et moi (cf. «il me voit et « c’est moi qu’il voit »), on répondra : C’est lat. atone qui est devenu me ; accentué a donné moi ; or la présence ou l’absence de l’accent dépend, non des lois phonétiques qui ont fait passer à me et moi, mais du rôle de ce mot dans la phrase ; c’est une dualité grammaticale. De même en allemand, *ur- est resté ur- sous l’accent et est devenu er- en protonique (cf. úrlaub : erlaúben) ; mais ce jeu d’accent lui-même est lié aux types de composition où entrait ur-, et par conséquent à une condition grammaticale et synchronique. Enfin, pour revenir à notre exemple du début, les différences de formes et d’accent que présente le couple bárō : barṓnem sont évidemment antérieures au changement phonétique.

En fait on ne constate nulle part de doublets phonétiques. L’évolution des sons ne fait qu’accentuer des différences existant avant elle. Partout où ces différences ne sont pas dues à des causes extérieures comme c’est le cas pour les emprunts, elles supposent des dualités grammaticales et synchroniques absolument étrangères au phénomène phonétique.

§ 4.

L’alternance.

Dans deux mots tels que maison : ménage, on est peu tenté de chercher ce qui fait la différence des termes, soit parce que les éléments différentiels (-ezõ et -en-) se prêtent mal à la comparaison, soit parce qu’aucun autre couple ne présente une opposition parallèle. Mais il arrive souvent que les deux termes voisins ne diffèrent que par un ou deux éléments faciles à dégager, et que cette même différence se répète régulièrement dans une série de couples parallèles; il s’agit alors du plus vaste et du plus ordinaire des faits grammaticaux où les changements phonétiques jouent un rôle : on l’appelle alternance.