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Mais cette restriction ne lève pas toutes les difficultés. L’évolution d’un fait de grammaire quelconque, groupe associatif ou type syntagmatique, n’est pas comparable à celle d’un son. Elle n’est pas simple, elle se décompose en une foule de faits particuliers dont une partie seulement rentre dans la phonétique. Dans la genèse d’un type syntagmatique tel que le futur français prendre ai, devenu prendrai, on distingue au minimum deux faits, l’un psychologique : la synthèse des deux éléments du concept, l’autre phonétique et dépendant du premier : la réduction des deux accents du groupe à un seul (préndre aíprendraí).

La flexion du verbe fort germanique (type all. moderne geben, gab, gegeben, etc., cf. grec leípo, élipon, léloipa, etc.), est fondée en grande partie sur le jeu de l’ablaut des voyelles radicales. Ces alternances (voir p. 215 sv.) dont le système était assez simple à l’origine, résultent sans doute d’un fait purement phonétique ; mais pour que ces oppositions prennent une telle importance fonctionnelle, il a fallu que le système primitif de la flexion se simplifie par une série de procès divers : disparition des variétés multiples du présent et des nuances de sens qui s’y rattachaient, disparition de l’imparfait, du futur et de l’aoriste, élimination du redoublement du parfait, etc. Ces changements, qui n’ont rien d’essentiellement phonétique, ont réduit la flexion verbale à un groupe restreint de formes, où les alternances radicales ont acquis une valeur significative de premier ordre. On peut affirmer par exemple que l’opposition e : a est plus significative dans geben : gab que l’opposition e : o dans le grec leipō : léloipa, à cause de l’absence de redoublement dans le parfait allemand.

Si donc la phonétique intervient le plus souvent par un côté quelconque dans l’évolution, elle ne peut l’expliquer tout entière ; le facteur phonétique une fois éliminé, on trouve un résidu qui semble justifier l’idée « d’une histoire de la grammaire » ; c’est là qu’est la véritable difficulté ; la