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elle ne demande que la différence et n’exige pas, comme on pourrait l’imaginer, que le son ait une qualité invariable. Je puis même prononcer l’r français comme ch allemand dans Bach, doch, etc., tandis qu’en allemand je ne pourrais pas employer r comme ch, puisque cette langue reconnaît les deux éléments et doit les distinguer. De même en russe, il n’y aura point de latitude pour t du côté de t’ (t mouillé), parce que le résultat serait de confondre deux sons différenciés par la langue (cf. govorit’ « parler » et govorit « il parle » ), mais il y aura une liberté plus grande du côté de th (t aspiré), parce que ce son n’est pas prévu dans le système des phonèmes du russe.

Comme on constate un état de choses identique dans cet autre système de signes qu’est l’écriture, nous le prendrons comme terme de comparaison pour éclairer toute cette question. En fait :

1° les signes de l’écriture sont arbitraires ; aucun rapport, par exemple, entre la lettre t et le son qu’elle désigne ;

2° la valeur des lettres est purement négative et différentielle ; ainsi une même personne peut écrire t avec des variantes telles que :


La seule chose essentielle est que ce signe ne se confonde pas sous sa plume avec celui de l, de d, etc. ;

3° les valeurs de l’écriture n’agissent que par leur opposition réciproque au sein d’un système défini, composé d’un nombre déterminé de lettres. Ce caractère, sans être identique au second, est étroitement lié avec lui, parce que tous deux dépendent du premier. Le signe graphique étant arbitraire, sa forme importe peu, ou plutôt n’a d’importance que dans les limites imposées par le système ;

4° le moyen de production du signe est totalement indif-