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§ 3.

La valeur linguistique considérée dans son aspect matériel.

Si la partie conceptuelle de la valeur est constituée uniquement par des rapports et des différences avec les autres termes de la langue, on peut en dire autant de sa partie matérielle. Ce qui importe dans le mot, ce n’est pas le son lui-même, mais les différences phoniques qui permettent de distinguer ce mot de tous les autres, car ce sont elles qui portent la signification.

La chose étonnera peut-être ; mais où serait en vérité la possibilité du contraire ? Puisqu’il n’y a point d’image vocale qui réponde plus qu’une autre à ce qu’elle est chargée de dire, il est évident, même a priori, que jamais un fragment de langue ne pourra être fondé, en dernière analyse, sur autre chose que sur sa non-coïncidence avec le reste. Arbitraire et différentiel sont deux qualités corrélatives.

L’altération des signes linguistiques montre bien cette corrélation ; c’est précisément parce que les termes a et b sont radicalement incapables d’arriver, comme tels, jusqu’aux régions de la conscience, — laquelle n’aperçoit perpétuellement que la différence a/b, — que chacun de ces termes reste libre de se modifier selon des lois étrangères à leur fonction significative. Le génitif pluriel tchèque žen n’est caractérisé par aucun signe positif (voir p. 123) ; pourtant le groupe de formes žena : žen fonctionne aussi bien que žena : ženъ qui l’a précédé ; c’est que la différence des signes est seule en jeu ; žena ne vaut que parce qu’il est différent.

Voici un autre exemple qui fait mieux voir encore ce qu’il y a de systématique dans ce jeu des différences phoniques : en grec éphēn est un imparfait et éstēn un aoriste, bien qu’ils soient formés de façon identique ; c’est que le