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autre équivalente ? Certainement : non seulement un autre cavalier, mais même une figure dépourvue de toute ressemblance avec celle-ci sera déclarée identique, pourvu qu’on lui attribue la même valeur. On voit donc que dans les systèmes sémiologiques, comme la langue, où les éléments se tiennent réciproquement en équilibre selon des règles déterminées, la notion d’identité se confond avec celle de valeur et réciproquement.

Voilà pourquoi en définitive la notion de valeur recouvre celles d'unité, d’entité concrète et de réalité. Mais s’il n’existe aucune différence fondamentale entre ces divers aspects, il s'ensuit que le problème peut être posé successivement sous plusieurs formes. Que l'on cherche à déterminer l'unité, la réalité, l'entité concrète ou la valeur, cela reviendra toujours à poser la même question centrale qui domine toute la linguistique statique.

Au point de vue pratique, il serait intéressant de commencer par les unités, de les déterminer et de rendre compte de leur diversité en les classant. Il faudrait chercher sur quoi se fonde la division en mots — car le mot, malgré la difficulté qu’on a à le définir, est une unité qui s’impose à l’esprit, quelque chose de central dans le mécanisme de la langue ; — mais c’est là un sujet qui remplirait à lui seul un volume. Ensuite on aurait à classer les sous-unités, puis les unités plus larges, etc. En déterminant ainsi les éléments qu'elle manie, notre science remplirait sa tâche tout entière, car elle aurait ramené tous les phénomènes de son ordre à leur premier principe. On ne peut pas dire qu'on se soit jamais placé devant ce problème central, ni qu'on en ait compris la portée et la difficulté ; en matière de langue on s’est toujours contenté d'opérer sur des unités mal définies.

Cependant, malgré l’importance capitale des unités, il est préférable d’aborder le problème par le côté de la valeur, parce que c'est, selon nous, son aspect primordial.