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« parties » ? Mais inversement on ne rend pas compte de cette expression quand on dit que bon est un adjectif et marché un substantif. Donc nous avons affaire ici à un classement défectueux ou incomplet ; la distinction des mots en substantifs, verbes, adjectifs, etc., n’est pas une réalité linguistique indéniable.

Ainsi la linguistique travaille sans cesse sur des concepts forgés par les grammairiens, et dont on ne sait s'ils correspondent réellement à des facteurs constitutifs du système de la langue. Mais comment le savoir ? Et si ce sont des fantômes, quelles réalités leur opposer ?

Pour échapper aux illusions, il faut d'abord se convaincre que les entités concrètes de la langue ne se présentent pas d’elles-mêmes à notre observation. Qu'on cherche à les saisir, et l'on prendra contact avec le réel ; partant de là, on pourra élaborer tous les classements dont la linguistique a besoin pour ordonner les faits de son ressort. D’autre part, fonder ces classements sur autre chose que des entités concrètes — dire, par exemple, que les parties du discours sont des facteurs de la langue simplement parce qu'elles correspondent à des catégories logiques, — c’est oublier qu'il n'y a pas de faits linguistiques indépendants d’une manière phonique découpée en éléments significatifs.

C. Enfin, toutes les notions touchées dans ce paragraphe ne diffèrent pas essentiellement de ce que nous avons appelé ailleurs des valeurs. Une nouvelle comparaison avec le jeu d’échecs nous le fera comprendre (voir p. 125 sv.). Prenons un cavalier : est-il à lui seul un élément du jeu ? Assurément non, puisque dans sa matérialité pure, hors de sa case et des autres conditions du jeu, il ne représente rien pour le joueur et ne devient élément réel et concret qu’une fois revêtu de sa valeur et faisant corps avec elle. Supposons qu’au cours d'une partie cette pièce vienne à être détruite ou égarée : peut-on la remplacer par une