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Chapitre III

Identités, réalités, valeurs

La constatation faite tout à l’heure nous place devant un problème d’autant plus important que, en linguistique statique, n’importe quelle notion primordiale dépend directement de l’idée qu’on se fera de l’unité et même se confond avec elle. C’est ce que nous voudrions montrer successivement à propos des notions d’identité, de réalité et de valeur synchronique.

A. Qu’est-ce qu’une identité synchronique ? Il ne s’agit pas ici de l’identité qui unit la négation pas au latin passum ; elle est d’ordre diachronique, — il en sera question ailleurs, p. 249, — mais de celle, non moins intéressante, en vertu de laquelle nous déclarons que deux phrases comme « je ne sais pas » et « ne dites pas cela » contiennent le même élément. Question oiseuse, dira-t-on : il y a identité parce que dans les deux phrases la même tranche de sonorité (pas) est revêtue de la même signification. Mais cette explication est insuffisante, car si la correspondance des tranches phoniques et des concepts prouve l’identité (voir plus haut l’exemple « la force du vent » : « à bout de force »), la réciproque n’est pas vraie : il peut y avoir identité sans cette correspondance. Lorsque, dans une conférence, on entend répéter à plusieurs reprises le mot Messieurs !, on a le sentiment qu’il s’agit chaque fois de la même expression, et pourtant les variations de débit et l’intonation la présentent, dans les divers passages, avec