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matérielle. Supposons qu’une corde de piano soit faussée : toutes les fois qu’on la touchera en exécutant un air, il y aura une fausse note ; mais où ? Dans la mélodie ? Assurément non ; ce n’est pas elle qui a été atteinte ; le piano seul a été endommagé. Il en est exactement de même en phonétique. Le système de nos phonèmes est l’instrument dont nous jouons pour articuler les mots de la langue ; qu’un de ces éléments se modifie, les conséquences pourront être diverses, mais le fait en lui-même n’intéresse pas les mots, qui sont, pour ainsi dire, les mélodies de notre répertoire.

Ainsi les faits diachroniques sont particuliers ; le déplacement d’un système se fait sous l’action d’événements qui non seulement lui sont étrangers (voir p. 121), mais qui sont isolés et ne forment pas système entre eux.

Résumons : les faits synchroniques, quels qu’ils soient, présentent une certaine régularité, mais ils n’ont aucun caractère impératif ; les faits diachroniques, au contraire, s’imposent à la langue, mais ils n’ont rien de général.

En un mot, et c’est là que nous voulions en venir, ni les uns ni les autres ne sont régis par des lois dans le sens défini plus haut, et si l’on veut malgré tout parler de lois linguistiques, ce terme recouvrira des significations entièrement différentes selon qu’il sera appliqué aux choses de l’un ou de l’autre ordre.

§ 7.

Y a-t-il un point de vue panchronique ?

Jusqu’ici nous avons pris le terme de loi dans le sens juridique. Mais y aurait-il peut-être dans la langue des lois dans le sens où l’entendent les sciences physiques et naturelles, c’est-à-dire des rapports qui se vérifient partout et toujours ? En un mot, la langue ne peut-elle pas être étudiée au point de vue panchronique ?

Sans doute. Ainsi puisqu’il se produit et se produira toujours des changements phonétiques, on peut considérer ce