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d’individu à individu. Et pourtant, ce qui nous empêche de regarder la langue comme une simple convention, modifiable au gré des intéressés, ce n’est pas cela ; c’est l’action du temps qui se combine avec celle de la force sociale ; en dehors de la durée, la réalité linguistique n’est pas complète et aucune conclusion n’est possible.

Si l’on prenait la langue dans le temps, sans la masse parlante — supposons un individu isolé vivant pendant plusieurs siècles, — on ne constaterait peut-être aucune altération ; le temps n’agirait pas sur elle. Inversement si l’on considérait la masse parlante sans le temps, on ne verrait pas l’effet des forces sociales agissant leur la langue. Pour être dans la réalité il faut donc ajouter à notre premier schéma un signe qui indique la marche du temps :

Dès lors la langue n’est pas libre, parce que le temps permettra aux forces sociales s’exerçant sur elle de développer leurs effets, et on arrive au principe de continuité, qui annule la liberté. Mais la continuité implique nécessairement l’altération, le déplacement plus ou moins considérable des rapports.