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SATIRE V.

Vous n’êtes point de ceux dont les rauques accens
Laissent à peine ouïr des mots vides de sens ;
Et jamais on n’a vu, d’un amas d’air gonflée,
Votre bouche enfanter une sentence enflée.
Simple dans votre style, et d’un goût délicat,
Des grands mots avec soin vous évitez l’éclat,
Habile également, soit qu’un tableau sublime
Sous vos mâles couleurs fasse pâlir le crime,
Soit que des traits légers d’un crayon grâcieux,
Vous nous mettiez sans fiel nos défauts sous les yeux ;
Courage : gardez-vous d’envier à Mycènes
Les festins de ses rois et ces horribles scènes
De membres mutilés et de chairs en lambeaux.
Un repas plébéien sied mieux à vos pinceaux.
— Non, non, je ne viens point, esclave de l’usage,
Enfler de riens pompeux une emphatique page ;
Je viens, par Apollon guidé dans mon projet,
Sans détour un instant vous parler en secret ;
Je viens m’ouvrir à vous. Puissiez-vous, ô mon maître,
Ô mon cher Cornutus, puissiez-vous reconnaître
Combien de nos deux cœurs le lien est étroit !
Combien il est sacré ! Venez, vous dont le doigt
Distingue, en le frappant, si le vase est solide ;
Vous que n’abuse point une langue perfide,
Venez, sondez mon âme. Ô que n’ai-je cent voix
Pour publier partout et combien je vous dois,
Et combien je vous aime ! amitié pure et tendre
Qu’une voix seule en vain s’efforcerait de rendre !
À peine de la pourpre et de la bulle d’or
Gardiennes des vertus d’un âge tendre encor,