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le purgatoire

la pièce, deux rangées de lits militaires superposés par deux, les châlits de fer s’emboîtant les uns au-dessus des autres, ce qui fait penser à des séries de boxes dans une exposition canine. Chaque lit est pourvu d’une paillasse de varech, extrêmement dure, et de deux couvertures de laine blanche. Près de la porte d’entrée, à gauche, il y a un grand poêle de fonte, où l’on nous allume du feu dès notre arrivée. Le milieu de la chambre est occupé par deux grandes tables massives, des bancs épais et des escabeaux. De chaque côté de la porte, quelques placards, hauts et étroits, armoires réglementaires de sous-officiers, sont alignés.

Telle est la cage où l’on nous enferme avec un bruit terrible de grosses clefs tournant dans de grosses serrures. Et les bottes pesantes résonnent sur les dalles du corridor. Mais, presque au même instant, le bruit des grosses clefs recommence, la porte s’ouvre en grinçant, et un officier allemand entre d’un air dégagé, la main à la casquette pour saluer.

— Bonjour, messieurs ! dit-il sans accent.

L’oberleùtnant (lieutenant en premier) est d’une élégance tout à fait soignée et son uniforme de campagne est d’un gris-vert incomparable. Il est jeune. Il a une figure ronde rasée de près, et des favoris en côtelettes lui descendant jusqu’à mi-joue. Il affecte une désinvolture aisée. Il a l’œil dur. Il parle bien le français, certes, et il a une tête déjà rencontrée en plus d’un coin de Paris. Il est mielleux, souriant, empressé, et dès l’abord on le sent cruel et faux. Par la suite, j’ai su qu’il se nomme Schmidt et qu’il est avocat dans la vie civile. Pendant la guerre il est