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le purgatoire

nous sommes désormais séparés, il fait un geste d’ignorance, d’impuissance et d’indifférence. Oh ! nous n’avions plus beaucoup d’espoir ; mais alors, pourquoi nous avoir offert de nous rendre nos ordonnances, dans le ravin du Bois-Chauffour, puisque nous ne demandions rien ?

Il n’y a pas un quart d’heure que nous sommes dans le « vagon spécial » de la voie de garage, on nous en retire. On nous remet par quatre, on nous compte : une fois, deux fois, trois fois ; et on nous dirige sur un train ordinaire qui va à Mainz. Le chef de détachement ne semble pas savoir ce qu’il doit faire de nous. Nous nous installons d’abord dans une voiture de 3e classe à couloir. Mais elle n’est pas chauffée. Nous descendons pour nous transporter dans une voiture voisine et semblable, mais chauffée. On nous compte et on nous enferme. Des soldats nous gardent. Les banquettes et les boiseries du vagon sont d’un jaune clair. Tout est extrêmement propre. Quoi d’étonnant ? Tant de choses sont interdites aux citoyens de la bonne Allemagne ! Tous les coins disponibles du compartiment sont occupés par des pancartes prohibitives. Il y en a partout, de ces pancartes : sur les cloisons, sur les portières, au plafond. Défense de fumer. Défense de cracher. Défense de jeter des papiers. Défense de se pencher au dehors. Défense d’introduire des chiens. Tout est défendu. Mais je n’avais pas vu le plus beau : c’est un écriteau de carton qui résume, en dix paragraphes d’une écriture grasse, les dix commandements du temps de guerre, qui conseille l’économie, qui ordonne de ne pas gâcher ceci et de conserver précieusement cela. Il est même