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l’usine de pierrepont

taient le casque recouvert du manchon gris-vert en toile, nous passent en consigne à des soldats de la landstùrm (armée territoriale) qui, eux, portent comme coiffure une casquette en toile cirée grise, semblable à celle des employés du gaz de Paris, mais qui s’orne d’une croix de fer et de quelques mots allemands.

Dès que nos territoriaux sont installés, ils nous font descendre des vagons où nous pensions demeurer. Toutefois nous pouvons y laisser nos bagages. On va seulement nous conduire à la « restauration ». Diable ! Est-il possible ? Je n’ignore pas qu’en Allemagne une « restauration » est un restaurant, et je conclus, naïf, qu’on nous offre une collation au buffet de la gare. Il est vrai que, depuis notre repas de midi, hier, nous n’avons rien mangé. Mais enfin, les Allemands réparent leur oubli et font bien les choses. Tant, après une nuit d’un sommeil de plomb, l’esprit français est prompt à l’optimisme.

Ce n’est pas au buffet qu’on nous emmène, mais vers un grand bâtiment en planches, construction de guerre édifiée sur le prolongement de la gare même et qui a une centaine de mètres de long : immense réfectoire militaire, pourvu d’un nombre imposant de tables et de bancs en bois blanc. Nous y pénétrons en colonne par un et on nous canalise à la file indienne vers trois hommes, vêtus de toile et coiffés de la calotte de repos, devant qui nous défilons successivement. Le premier nous remet un énorme bol, qui a deux centimètres d’épaisseur de lèvres et qui serait mieux placé dans l’officine d’un pharmacien que dans une salle à manger. Le deuxième nous donne une cuiller. Et, planté devant une gigantesque marmite, le troisième