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de Berlin. Il ne discute pas. Il énonce des vérités d’une voix âpre. Et il se laisse emporter si loin par la colère, qu’il ne s’aperçoit pas que nous l’écoutons, nous, prisonniers, avec une curiosité bienveillante, et que ses hommes sont contraints de le lui faire remarquer. La dispute tombe. Pour dissiper le malaise qui succède, le feldwebel sort, et la porte claque derrière lui. Décidément nous en verrons de toutes les couleurs, pour peu que notre voyage continue.

Sur ces entrefaites, on nous apporte notre repas du matin. Il y a pour chacun de nous un morceau de bœuf bouilli, et pour tous une énorme marmite de riz à l’eau. Afin de juger, sans doute, de notre satisfaction en face de cette abondance de riz, un leùtnant à la figure mauvaise jette un coup d’œil sur la table. Mais sa figure se renfrogne quand il aperçoit les boîtes de conserve et le fromage, dont nous croyons nécessaire de corser notre menu, et, avant de se retirer, il nous annonce, sur le ton terrible qu’il prendrait pour nous faire part d’une condamnation à mort, que nous devons nous tenir prêts à partir à deux heures. Pensait-il nous attrister ? Rien ne pouvait nous être plus agréable, dans la situation où nous sommes, que la nouvelle de notre départ. Encore ne la recevons-nous que sous toutes réserves. Il y a quatre jours que nos camarades entendent ce refrain matin et soir. N’est-ce pas dans un conte cruel de Villiers de l’Isle-Adam qu’on inflige à un prisonnier le supplice de l’espérance ? Et, toutes proportions gardées, nos maîtres ne vont-ils pas nous traiter de la même manière ?

Quoi qu’il en soit, nous nous tiendrons prêts à