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le purgatoire

Pour aller à Pierrepont, nous quittons la route Rouvrois-Longuyon. Le carrefour est occupé par des troupes au repos, section de munitions ou de parc d’artillerie. Des chariots et des caissons sont alignés, des soldats nous regardent passer. Deux officiers sont parmi eux, et, au moment où nous allons les croiser, ils nous saluent.

Il fait froid. Un pâle soleil n’arrive pas à nous réchauffer. La plaine est blanche de neige autour de nous, et tout le paysage est d’une tristesse infinie.

Nous approchons d’un village : c’est Arrancy. Sur la route, des civils, jeunes et vieux, travaillent sous la surveillance de soldats en armes. On ne nous avait pas trompés, quand on nous avait dit en France que nos pauvres frères des régions envahies subissaient le régime des Travaux Publics. Devant leur détresse effroyable qu’il n’est que trop aisé de voir dans leurs yeux et sur leurs visages amaigris, nous oublions la nôtre. La nôtre commence. Ils endurent la leur depuis dix-neuf mois. Honte à ceux qui commettent ces crimes ! Et honte à ceux qui, par leur faute et par leur imprévoyance, ont pu permettre que ces crimes fussent commis !

Comment oublierais-je le ton de ce cantonnier minable, qui, à deux pas de son gardien, trouve le courage de nous dire, après tant d’heures noires :

— N’est-ce pas que ce n’est pas vrai qu’ils ont pris Verdun ?

Quelle force y a-t-il donc dans le cœur d’un Français pour que jamais le moindre doute ne le touche quant aux destinées de sa patrie ? Ainsi de cet homme. Depuis dix-neuf mois il est esclave. Depuis dix-neuf