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qu’on vous retenait cinquante-quatre marks par mois ?

Oui, pour cette cuisine. Car, si, pendant les premiers mois, on nous donnait au réveil une espèce de liquide terne qu’on appelait café au lait et qui n’était supportable qu’à la condition de le sucrer et de l’allonger de lait condensé, nous dûmes bientôt payer un supplément quotidien de quinze pfennigs pour prétendre à ce nectar.

Tel était l’ordinaire du camp de Vöhrenbach. Et vous avez raison : sans les colis de victuailles qui nous arrivaient à peu près régulièrement de France, nous serions morts de faim.

Une question se pose : l’Allemagne pouvait-elle faire plus pour les prisonniers ? N’était-elle pas elle-même trop gênée pour songer aux autres avant de songer à ses fils ? Je ne sais pas si vraiment elle ne pouvait pas faire plus pour nous. Il est difficile d’établir la mesure exacte de ses ressources. Mais je sais ce que j’ai vu et j’ai vu qu’une gêne réelle pesait sur elle en 1916. Faut-il penser que c’est pour s’abîmer en des études de chimie organique que certaines sentinelles du camp de Vöhrenbach se penchaient sur les poubelles où des officiers prisonniers jetaient leurs pauvres restes ? Faut-il penser que c’est par amour de l’humanité que ces mêmes sentinelles, pour quelques boîtes de conserves et une miche de pain, consentaient à l’évasion de ces mêmes officiers ? Mais je veux rapporter deux anecdotes.

À la fin de mois de juillet 1916, venant de l’hôpital d’Offenburg et rentrant au camp de Vöhrenbach, j’arrivai en gare de Donaùeschingen au crépuscule.