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les évasions

Il y eut des évasions tragiques. À Villingen, un officier russe fut tué par une sentinelle. Les sentinelles criaient : « Halte ! » une seule fois, et tiraient. D’autres tentatives, vite connues dans les autres camps, causaient des joies délicieuses. Ainsi l’évasion de ces vingt-sept officiers qui, la même nuit, sortirent par une fenêtre d’un des forts d’Ingolstadt, traversèrent à la nage le fossé d’eau qui entourait la prison, et gagnèrent tous la campagne, sans éveiller l’attention des gardiens. Pour que la kommandantur ne s’inquiétât pas de leur santé, ils lui laissèrent un bref billet et l’informèrent qu’ils s’en allaient en emmenant avec eux une ordonnance, « pour leur cirer les chaussures ». Impertinence bien française.

Ces événements étaient une de nos grandes distractions. Longtemps à l’avance, on savait quel officier « travaillait » son projet, et l’on discutait entre amis les chances du camarade. Une évasion se montait avec autant de soins qu’une offensive du front, mais nous disposions de moyens limités. L’art consistait à faire tout avec rien. La question des vêtements était la moindre. Il y avait toujours dans les camps des pantalons, des vestons et des casquettes ou des chapeaux. D’où venaient-ils ? Où se cachaient-ils ? Mystère. Autant de problèmes dont la solution nous importait peu. Nous avions aussi des cartes, des boussoles, de l’argent boche. Il ne restait plus à démêler que le point principal : sortir du camp. Ici chacun gardait pour soi son idée. Et les imaginations avaient du travail.

Celui qui pouvait s’aboucher avec une sentinelle, se faufilait à une heure convenue sous les fils de fer,