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le purgatoire

les prisonniers souriaient, dédaigneux du spectacle qu’on préparait.

Mise en scène parfaite. On gardait les apparences d’une haute impartialité. L’envoyé du roi Alphonse entrait à la Kommandantur, causait avec ces messieurs, se faisait montrer tous les locaux, examinait les poubelles, goûtait la purée de choux, admirait le paysage, et constatait que l’air de la Forêt-Noire est un air très sain. Après quoi, dans la chambre du colonel français assisté des chefs de bataillon, les prisonniers délégués par leurs camarades soumettaient leurs réclamations au secrétaire de l’ambassade. On avait toute liberté pour se plaindre. Les Allemands n’assistaient pas à l’entretien. À quoi bon ? Le secrétaire prenait des notes, et, la séance terminée, allait présenter ses observations respectueuses à la kommandantur. Quand il s’en allait, il nous laissait de belles promesses ; puis, comme par hasard, les officiers qui s’étaient plaints faisaient partie du prochain convoi pour un autre camp.

Qu’est-ce que l’Allemagne pouvait craindre des remontrances espagnoles, si les remontrances espagnoles se produisaient ? L’Allemagne ne se soucie pas plus du jugement des neutres que des condamnations de l’histoire. Lorsque des bandits sont devant la cour d’assises pour avoir égorgé une dizaine d’innocents, il serait plaisant de leur rappeler la boutade célèbre : « Méfiez-vous de l’assassinat. Il conduit au vol, et de là à la dissimulation. » L’Allemagne se fichait des reproches oiseux. Entre deux visites de l’envoyé du roi Alphonse, nous portions des lettres de protestations à la Kommandantur. Monsieur le Censeur souriait et les fourrait au panier.