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le purgatoire

sonore d’où nous venait un désespoir affreux, tel un mauvais songe. Quel tumulte pendant ces mois de mars et d’avril 1916 ! Quand la musique commençait, une angoisse voilait nos yeux :

— Verdun ?

Un matin, les cloches sonnèrent à tout casser. Quel événement allait-on nous annoncer ? La prise de Paris ? Ou la fin de la guerre ? Pleine de sollicitude, la Kommandantur nous afficha cette brève nouvelle :

« Le sous-marin Deutschland est en Amérique. »

Et les journaux se réjouirent pendant trois jours. On doit le reconnaître, l’effort allemand méritait un peu d’attention : un submersible de commerce, d’un fort tonnage, avait déjoué la surveillance des marines alliées et fourni une longue course. La menace n’était pas grosse de conséquences et le raid ne demeurerait qu’un raid, mais enfin, soyons généreux, l’Allemagne avait exécuté un joli tour de force. Ce fut du délire lorsque, quelque temps plus tard, échappant encore aux Anglais et rompant le blocus, le sous-marin rentra à son port de départ. L’Allemagne y perdit la tête, et les gazettes publièrent sérieusement que le Deutschland avait ramené du nickel, du caoutchouc et de l’or en lingots pour une somme telle qu’il n’eût pas fallu moins de dix fois le tonnage du Deutschland pour le transporter. La prouesse tournait à la tartarinade. L’Allemagne grisée ne cacha pas que le Deutschland repartait sans délai pour un nouveau voyage. C’était narguer l’Angleterre. Le sous-marin partit en effet. Mais les cloches restèrent muettes. Des semaines passaient. Le silence persista.