Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/238

Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
le purgatoire

offensives. Le communiqué boche réalisait alors des prodiges d’expressions, et il exécutait, suivant les circonstances, une admirable gymnastique de phrases, de périphrases et de litotes charmantes. Avec un peu d’habitude, sans être très fort en allemand, on se rendait compte de la valeur de nos succès, rien que par les circonlocutions dont l’état-major de Berlin enconfiturait ses échecs. Le vocabulaire de la défaite était d’une richesse inouïe. Quels poètes que ces Allemands ! Et d’abord, qu’on le sache, les vaillantes troupes du kaiser avaient toujours repoussé l’ennemi. À y regarder de près, c’était vrai, car le communiqué ne disait pas si l’ennemi avait été repoussé sur sa ligne de départ ou après avoir enfoncé le front allemand sur dix kilomètres de profondeur. D’ailleurs on repoussait l’ennemi de tant de façons ! On l’avait contenu, ou arrêté, ou chassé, ou refoulé ; ou bien, on s’était retiré devant lui, à moins qu’on n’eût évacué la position planmässig, conformément au plan fixé. Au fond, les Allemands ne faisaient que ce qu’ils voulaient, et l’échec de Verdun était conforme au plan, et conformes au plan aussi les pertes de la Somme. Avec des principes pareils, on n’est jamais vaincu. Le communiqué boche nous offrit souvent des joies insoupçonnables.

Les murs de la plupart de nos chambres étaient tendus de cartes, et de bonnes cartes, vendues à la kantine. Tous les fronts, nous les avions, même celui de Mésopotamie, à une échelle sérieuse. Le front français tenait en cinq feuilles au 1/100.000e, tirées pendant la guerre d’après notre carte au 1/80.000e. Le front russe, au 1 /250.000e, allait du plafond jusqu’à un