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le purgatoire

réfectoire nous était désormais fermé, on nous avait distribué des gamelles réglementaires. Elles devinrent des instruments de musique. L’officier de service, l’invraisemblable Barzinque, dit Sabre de Bois, toujours si plein d’importance, resta prudemment couché, ce soir-là. Un vent douteux soufflait sur le camp.

La journée du 19 avril ne fut pas plus calme. Les nouveaux prisonniers n’étaient pas habitués à ces manières. Ils n’auguraient rien de bon du scandale. Ils descendirent pourtant à l’appel du matin, comme les autres, avec leur gamelle à la main. On avait l’impression que le moindre geste maladroit provoquerait une révolte. Il y avait de la poudre dans l’air. Nous étions prêts à tout. Le train de l’après-midi nous amena encore une dizaine de camarades du camp de Villingen. Comme la veille, la Marseillaise déferla sur nos gardiens désorientés. Comme la veille, le poste sortit, mit baïonnette au canon, chargea sur ceux d’entre nous qui s’attardaient dans la cour, et toute une escouade tint nos fenêtres sous la menace des fusils. Le vieil oberst s’arrachait les cheveux. L’aide de ce camp se démenait de droite et de gauche. Monsieur le Censeur contractait plus que jamais ses mâchoires carrées, et Barzinque, devenu enragé, hurlait des choses inintelligibles. Et tous percevaient par moments le refrain goguenard :

Comme à Saint-Angeau !
Comme à Saint-Angeau !

Cependant, comme à Saint-Angeau, les restrictions s’accumulaient. Nous mangions dans nos chambres. La musique fut interdite. Interdits, les fauteuils et