Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.
197
autres têtes de boches

on daignait nous communiquer les motifs de ces ordres. Ainsi, on joua beaucoup de la corde : nécessité de guerre. Par exemple, en avril 1916, comme nous nous jetions vers les ouvrages manuels que le capitaine B*** de Mayence m’avait prédits, la kantine étala un riche assortiment d’outils de toute sorte, pour travailler le bois, la glaise, le fer, l’étain, le cuivre. Je voulus m’appliquer à l’étain repoussé. Je ramenai dans ma chambre des poinçons et des spatules de toutes les tailles et de toutes les formes, et une plaque d’étain vierge, de dimensions restreintes. Quand j’en demandai au kantinier une nouvelle plaque, il me répondit que le ministère de la Guerre interdisait la vente de l’étain.

Pareille mésaventure nous advint un peu plus tard. L’ordinaire du camp nous obligeait à cuisiner des plats supplémentaires. Rien de plus commode, car la kantine nous fournissait des lampes à alcool et de l’alcool. Pleine de bontés, elle nous procura des réchauds de plus en plus pratiques, jusqu’au jour où on nous apprit que, d’ordre de Berlin, les prisonniers ne pourraient plus acheter de Brennspiritus. Et il en était de même enfin pour toutes les nouveautés que la kantine exhibait, à raison d’une ou deux par mois. C’est ce que j’appelais vendre en série. Le kantinier excellait dans cette branche de l’exploitation intensive et raisonnée des prisonniers de guerre.

Le grand maître du bar était un immense porc. Nul qualificatif ne peindrait plus exactement cet énorme individu aux chairs luisantes et mobiles, qui ne sentait pas le ridicule de montrer à nu sa tête chauve aux narines répugnantes. Il n’avait pas les qualités commerciales de son collègue le bijoutier du bazar.