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me rappelle certain docteur assez âgé, aux digestions délicates, qui mangeait en face de moi au réfectoire. Il ne cessait de nous énumérer et de nous réciter les articles de la fameuse Convention que les Allemands violaient sans vergogne en le traitant ainsi qu’un prisonnier ordinaire. Il consentait à loger et à prendre ses repas avec nous, si besoin était ; mais il voulait circuler librement dans tout le camp et même, au moins, dans le village, le jour et la nuit, sans gardien et sans rien promettre. Il protestait chaque matin auprès du censeur, auprès de l’officier de service, auprès de « l’aide de ce camp », et auprès du Freiherr von Seckendorff. Il rédigeait réclamations sur réclamations, qu’il portait consciencieusement à la kommandantur ; et la kommandantur, qui ne lui cachait même plus combien cette douce obstination l’amusait, jetait au panier non moins consciencieusement les plaintes du médecin. Ses confrères et lui subirent le régime commun jusqu’au jour où il plut au gouvernement impérial et royal de les renvoyer à Lyon, en échange de quelques-uns des siens.

Ces anecdotes minimes, je ne songe pas à les comparer au crime des traités belges déchirés en août 1914. Néanmoins, je ne les juge pas sans intérêt. Il est certain que l’Allemand est fourbe de naissance, traître par tempérament, et vil de toutes les manières. Il faut que ces anecdotes de rien, que tant de prisonniers rapporteront de captivité, soient connues. Ce n’est point par hasard, ce n’est point par un besoin immédiat et temporaire, ce n’est point par nécessité militaire et parce que la fin justifie les moyens, que l’Allemagne a trahi la parole qu’elle avait donnée à la Belgique.