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Sibérie. Il s’étonnait qu’avec ma taille je ne fusse que chasseur à pied et il tenait absolument à me classer dans les grenadiers, comme lui. Trop embarrassé pour le convaincre, j’acquiesçais à son désir. Chaque fois qu’il prenait son verre pour boire, il se levait, disait : « Vive la France ! Vive famille ! » Et nous répondions : « Vive Russie ! » Et l’oncle Michel se levait à tout instant pour recommencer.

Son camarade habituel (on les rencontrait rarement l’un sans l’autre) était un petit bonhomme maigriot, sec comme un coup de trique, qui nous saluait comme eût salué un automate, en observant un impeccable garde-à-vous. Il ne savait pas un mot de français, mais il baragouinait un peu d’allemand. Il ne supportait pas le vin, tandis que l’oncle Michel supportait tout. Aussi, dans nos réunions, pendant que le Johannisthal emplissait nos verres, il se faisait servir de la bière, par quatre bocks à la fois. Encore nous avouait-il qu’il n’avait pas beaucoup de goût pour la bière.

Le troisième des officiers russes de Vöhrenbach ne fréquentait guère les deux autres. Sobre, il n’allait jamais à la kantine. Il recherchait plutôt les conversations sérieuses. Il parlait sans difficulté le français, l’allemand et l’anglais. Il travaillait beaucoup. Grand, mince, le front soucieux, les yeux profonds, il semblait sorti d’un roman de Dostoïewsky. Aujourd’hui, après tant de vicissitudes, je pense à Kerensky, quand il me souvient de cet artilleur un peu mystérieux.

Faut-il ajouter que la meilleure entente régnait entre les prisonniers français, anglais, et russes ? Il n’y avait pas de Belges à Vöhrenbach, et je n’ai vu jamais ni des Italiens, ni des Serbes, ni des Roumains.