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têtes de boches

et il souriait quand il entendait nos plaisanteries, dont les-Méziés enrageait.

Ces deux hommes, si dissemblables, nous distribuaient les colis de France, l’après-midi, dans la cour quand le temps le permettait, et au réfectoire en cas de pluie. Ils les ouvraient, retenaient par ordre les papiers et les toiles d’emballage, et fouillaient tous les recoins, toutes les boîtes, tous les sacs. Les officiers se disputaient pour être inspectés par Sourire d’Avril. Il visitait les paquets d’un œil distrait. Il ne dissimulait pas son admiration pour les victuailles que nous recevions et qui sans doute excitaient son envie, car tous ses jours n’étaient pas jours de bombance. Il s’écria même une fois, devant un jambon d’York, d’ailleurs somptueux :

— On ne meurt pas encore de faim en France.

Cela lui valut un regard indigné de son camarade qui, lui, ne nous faisait grâce de rien, exécutant strictement les instructions de monsieur le Censeur et se réglant sur lui. Monsieur le Censeur daignait de temps en temps descendre jusqu’à mettre les doigts dans nos boîtes de pâté et nos pots de moutarde.

Nous n’avions pas le droit de recevoir n’importe quoi. Les liquides étaient soumis à l’examen du médecin du camp ; on nous retenait l’alcool. Les livres, pourvu que la date de leur publication fût antérieure au 2 août 1914, étaient d’abord arrêtés par la censure, qui les feuilletait avec soin avant de nous les rendre. Certains paquets de cigarettes portaient une étiquette aux couleurs des Alliés ; on les confisquait. Les journaux, les revues, on les confisquait. Mais, si l’on fouillait si attentivement, c’était pour découvrir les