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nouveau transformée en jetons spéciaux. Toutes ces dispositions nous permettaient de supposer que notre déplacement serait d’une assez longue durée. Mais je ne m’en plaignais pas.

Nous étions au complet. On nous avait compté une fois, deux fois, trois fois. Nous n’avions plus qu’à gagner la gare. Une petite formalité de rien restait à accomplir. Sur un ordre du feldwebel chef de détachement, les hommes qui nous escortaient chargèrent leur fusil avec ostentation et firent manœuvrer la culasse avec tant d’insistance qu’il n’y avait pas moyen de ne pas considérer cette opération délicate comme un avertissement sérieux.

Un vagon de deuxième classe, à couloir, nous était réservé tout entier.

Dans le même compartiment nous fûmes quatre : le capitaine V***, le lieutenant T***, moi, et un soldat de la landsturm. Rien ne signala notre embarquement. Sur le quai, les rares voyageurs nous regardaient sans rien dire. Une pancarte indiquait que le train se dirigeait sur Darmstadt. Allions-nous en Bavière ? Le soldat qui nous accompagnait déclarait ne rien savoir. Et pourtant il était bavard et il aurait bien voulu causer avec nous. Mais quoi ! Celui-là aussi nous aurait servi toutes les rengaines politico-historiques que le Gouvernement Impérial et Royal a mises à la mode, et quelle fatigue d’entendre toujours les mêmes niaiseries répétées avec la même conviction !

Les temps ont bien changé depuis le 2 août 1914. Au début, au moment de Charleroi, alors que les masses allemandes marchaient triomphalement sur Paris sans voir le gouffre ouvert de la Marne, jamais un prison-