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le purgatoire

Il faut reconnaître que les Allemands en 1916 sont envers les prisonniers nouveaux d’une sollicitude touchante qui n’hésite pas à prévenir leurs désirs. N’est-ce pas naturel ? Quand un officier arrive pour la première fois dans un camp comme celui de Mayence, il y arrive les mains vides et, le plus souvent, vêtu de boue et casqué, il éprouve un peu ce sentiment de honte légère du simple combattant qui tombe à l’heure du dîner dans une popote d’état-major où le drap est d’une élégance rare et le cuir d’un fauve particulier. Autant dire que le pauvre diable est en chemise. Si, par précaution, comme on le pratique quelquefois, il a confié son portefeuille au sergent-major avant de monter en ligne, ou si les soldats boches ont jugé à propos de l’en alléger, il n’a guère que quelques sous dans la poche. Comment, en attendant que des colis lui parviennent de France, s’y prendra-t-il pour se procurer les objets de nécessité urgente dont il aura besoin ? D’autre part, les Allemands paient la solde d’avance, le premier jour du mois. Ainsi, tombé entre leurs mains le lendemain du jour où le trésorier opère, vous ne percevrez pas un centime pour tout le mois en cours et vous devrez néanmoins rembourser à l’administration le prix de votre nourriture. Vous, Français, vous seriez embarrassé devant ce problème. C’est que vous n’entendez rien aux affaires sérieuses. L’Allemand par bonheur veille sur vous. Et le payeur du camp est autorisé à vous verser des avances sur vos soldes futures. Signez un reçu, on vous remet immédiatement cent marks. Vous courez à la kantine, vous en sortez le porte-monnaie dégarni, et vous ne toucherez plus un pfennig à la caisse impériale et