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le purgatoire

tèrent ensemble un café dont l’arôme français fut tout ce que j’en reçus, car on me laissa bien tranquillement sur mon lit, dans mon coin, en contemplation devant les phrases de Zola. Je profitai de la distraction de mes compagnons d’infortune pour les examiner à loisir.

À côté du capitaine, dont j’ai déjà parlé, qui est petit, modeste et aimable, et qui parle avec un accent du Midi à peine perceptible, le lieutenant L*** forme un contraste saisissant. Grand, balafré, haut en couleurs, la poitrine large, fier de pratiquer des sports athlétiques, il est vêtu d’une tunique noire à brandebourgs noirs qui lui donne une allure de dompteur. Exubérant, brave garçon, bon caractère, il cherche de temps en temps des effets de voix pour chanter :

Manon, sphinx étonnant, véritable sirène,
Cœur trois fois féminin……

Il ne va jamais au delà. Il parle haut, rit souvent et se dispute amicalement avec tout le monde. C’est un ancien capitaine au long cours. Aussi ne l’appelle-t-on que « Matelot ». Il houspille sans se gêner le lieutenant D*** qui porte l’uniforme de dragon et qui reste presque toujours tête nue, même pour sortir. Grand, avec le nez busqué et les cheveux bien coiffés, le lieutenant D*** est l’officier de cavalerie correct, poli, et un peu raide. Mais Matelot réserve ses plus grosses bourrades pour un sous-lieutenant de zouaves vêtu de la nouvelle tenue, qui est petit, qui a des cheveux frisés, qui paraît tout jeune, qui a des timidités de jeune fille et qu’on raille pour son inexpérience amoureuse que Matelot affirme complète. Tels sont