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le purgatoire

La kantine était ouverte. Désireux de faire quelques emplettes, j’y allai. C’est un véritable bazar, où l’on achète les choses les plus saugrenues : des objets de toilette, des pliants de paquebot, des raquettes de tennis, des chaussettes, des pots de confiture, des livres, des partitions de piano, des tapis, du papier à lettres et des enveloppes, des cadres pour photographies, des lampes et des réchauds, bref, tout ce que souhaiterait un prisonnier qui veut s’arranger une petite vie supportable. Tous les articles sont de qualité médiocre et tous sont d’un prix très haut, naturellement. La kommandantur prélève un tant pour cent sur chaque objet, et elle voile ce vol sous le prétexte d’amélioration de l’ordinaire. Ne sommes-nous pas là pour tout accepter d’un cœur joyeux ?

Il est assez difficile de se faire servir à la kantine. Elle est encombrée de clients, car ils n’ont pas le droit d’y venir tous les jours ni à toute heure, et d’autre part les soldats boches qui tiennent la boutique ne sont pas nombreux. Enfin les prisonniers russes ont pris possession des comptoirs, et leurs désirs sont compliqués et leur choix est hésitant. Plusieurs d’entre eux sont assis pour se décider avec moins de fatigue. On leur montre vingt articles différents ; ils les palpent, les examinent, discutent entre eux sur le prix et sur la qualité, demandent autre chose, occupent toute la kantine ; et quand ils s’en vont à regret, par trois ou quatre à la fois, l’un d’eux n’emporte le plus souvent qu’un litre d’alcool à brûler, ou Brennspiritus, comme on dit ici, mais il l’emporte avec mille précautions, ainsi qu’une icône précieuse.

Un camarade me confie que les Russes consomment