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fenêtre fermée, porte ouverte

garde, ont de quoi nous séduire. Joignez qu’il parle avec aplomb de tout ce qu’il a vu en Allemagne depuis sa captivité, et les renseignements qu’il ne nous marchande pas nous sont précieux. Il ne nous cache pas la haine qu’il a pour nos maîtres temporaires. Il prétend que dans les villes la population, strictement et durement rationnée pour tout, est affamée et ne se révolte pas. Dit-il vrai ? Il affirme qu’il a vu, de ses propres yeux vu. Dans certains camps de troupe, des prisonniers ont fait chanter et danser leurs gardiens, sentinelles transformées en guignols, pour un morceau de pain. Cependant, nous nous défions de ce Belge, peut-être à tort du reste : nous jugeons qu’il a trop de libertés dans le personnel des ordonnances ; alors que les autres ont des airs de bêtes traquées, il semble trop bien de la maison. La kantine n’est ouverte qu’à certains jours de la semaine et à certaines heures. Le Belge y entre, pour nous et pour lui, quand il veut. Peut-être est-il chargé par l’administration du camp de s’attirer notre confiance, pour nous faire parler, et de répéter ce que nous aurions laissé échapper au cours d’une conversation familière et naïve ? Rien n’est impossible ici. Toutes les hypothèses sont judicieuses, quand on est en face des Allemands. Quoi qu’il en soit, le Belge est un homme dont nous avons besoin, et, tout en demeurant circonspects, nous écoutons son bavardage.

Combien plus sympathique, sans arrière-pensée, sans restriction, l’humble prisonnier russe qui nous sert à table ! Gros cosaque bouffi aux cheveux courts et lisses, au front carré, aux yeux doux, qui répond au nom de « Rousski » quand Latrinen l’appelle !