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la quarantaine

uniformes sont représentés au camp de Mayence : le pantalon rouge et le képi foulard du temps de paix dominent. Comme ils nous semblent vieillots, à nous qui ne sommes plus habitués qu’au bleu horizon si pimpant ! La plupart des Français qui sont ici viennent de Maubeuge. Les Belges ont été pris à Namur ou à Liège. Les quelques Anglais n’ont pas d’histoire, et, quant aux Russes, ils sont trop. La sollicitude de l’Allemagne réunit dans une même prison des hommes des différentes nations alliées. Le Gouvernement Impérial et Royal compte bien que la vie en commun, la promiscuité de tous les instants, les caractères différents, les égoïsmes individuels causeront des discussions et des disputes, créeront des animosités et des rancunes et prépareront, même à longue échéance, la dissolution du bloc des Alliés. Ainsi les prisonniers serviront à quelque chose, car tout doit servir à quelque chose pendant la guerre. Mais l’Allemagne s’est égarée en réunissant sous des outrages communs les prisonniers de l’Entente. Au lieu de se mordre entre eux, ils ont appris à se connaître et à s’estimer dans le malheur, et ils s’aiment. Tant les facultés de psychologie de l’Allemagne sont toujours en défaut.

Il me semblait que nous sortions à peine de table. Or, on nous apporte à manger. Pendant les vingt-quatre heures qu’a duré notre voyage en chemin de fer, on ne nous avait offert que la soupe de Cobern. Ici, en moins de deux heures, voici deux repas. C’est de l’exagération. On ne peut pas être dupe de pareils procédés.

La collation de quatre heures comprend du café, du sucre et de la confiture. Pas de pain, bien entendu,