Page:Sandre - Le purgatoire, 1924.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.
90
le purgatoire

par la force ; ici, ruiner par la suggestion ; là, par le poing ; ici, par la parole. En fin de compte, le résultat est le même, et nos prisonniers, galonnés ou non, seront dans un triste état quand ils rentreront chez eux.

Au camp de Mayence, pendant ces heures que nous vivons dans la quarantaine, on s’ingénie à nous dorer la pilule et à nous présenter l’avenir sous les couleurs le plus roses.

Trois ordonnances sont à nos ordres : un Belge, un Français et un Russe, commandés par un soldat boche en casquette grise et qui crie d’une voix perçante chaque fois qu’il veut parler. C’est au milieu des invectives les plus aigres que les trois ordonnances nous servirent notre premier repas de Mayence. L’Allemand s’agitait comme un forcené. Le Français ne disait rien. Le Russe remuait des piles d’assiettes en souriant d’indifférence. Quant au Belge, il assistait à la scène en amateur.

L’Allemand assure lui-même la distribution du pain, denrée précieuse qu’il importe de ne pas gaspiller. Il nous en donne à chacun un morceau à peine plus long que le travers de la main.

— Ration pour 24 heures, nous dit-il.

Il n’y en a pas assez pour contenter pendant la moitié d’un repas un appétit moyen. Mais ce pain est meilleur que celui que nous avons mangé jusqu’à présent. L’ordonnance belge nous fait observer que nous ne devons pas nous plaindre : on nous donne « du pain d’officier ». Les officiers allemands n’en ont pas d’autre, tandis que la population civile, même dans les villes les plus importantes, ne touche qu’une