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n’y avait pas d’autres voyageurs que nous, et la belle auberge rustique d’Ambroise était si tranquille, que je ne perdais rien de ce qui s’y passait. Tout à coup j’entendis un grand frôlement de jupons au bout du corridor. Je m’élançai, croyant qu’on se décidait à sortir ; mais je ne vis passer qu’une belle robe de soie dans les mains de la femme de chambre. Elle venait sans doute de la déballer, car un nouveau mulet chargé de caisses et de cartons était arrivé depuis quelques instants devant l’auberge. Cette circonstance me fit espérer un séjour de plusieurs journées à Saint-Pierre ; mais comme celle dont j’attendais la fin me paraissait longue ! Serait-elle donc perdue absolument pour mon amour ? Que pouvais-je inventer pour la remplir, ou pour faire révoquer l’arrêt des convenances qui me tenait éloigné ?

Je me livrai à mille projets plus fous les uns que les autres. Tantôt je voulais me déguiser en marchand d’agates herborisées pour me faire admettre dans ce sanctuaire dont je voyais la porte s’ouvrir à chaque instant ; tantôt je voulais courir après quelque montreur d’ours et faire grogner ses bêtes de manière à attirer les voyageuses à leur fenêtre. Il me prit aussi envie de décharger un pistolet pour causer quelque inquiétude dans la maison ; on croirait peut-être à un accident, on enverrait peut-être savoir de mes nouvelles, et même si j’étais un peu blessé…

Cette extravagance me sourit tellement, qu’il s’en fallut de bien peu qu’elle ne fût mise à exécution.