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Je pris là congé de Moserwald, qui voulait me garder avec lui, me faire voyager, me distraire, m’enrichir, me marier, que sais-je ?

Je n’avais plus le cœur à rien, mais j’avais une dette d’honneur à payer. Je devais plus de vingt mille francs que je n’avais pas, et c’est à Moserwald précisément que je les devais. Je me gardai bien de lui en parler ; il se fût réellement offensé de ma préoccupation, ou il m’eût trouvé les moyens de m’acquitter en se trichant lui-même. Je devais songer à gagner par mon travail cette somme, minime pour lui, mais immense pour moi qui n’avais pas d’état, et lourde sur ma conscience, sur ma fierté, comme une montagne.

J’étais tellement écrasé moralement, que je n’entrevoyais aucun travail d’imagination dont je fusse capable. Je sentais, d’ailleurs, qu’il fallait, pour me réhabiliter, une vie rude, cachée, austère ; les rivalités comme les hasards de la vie littéraire n’étaient plus des émotions en rapport avec la pesanteur de mon chagrin. J’avais commis une faute immense en jetant dans le désespoir et dans la mort une pauvre créature faible et romanesque, que j’étais trop romanesque et trop faible moi-même pour savoir guérir. Je lui avais fait briser les liens de la famille, qu’elle ne respectait pas assez, il est vrai, mais auxquels, sans moi, elle ne se serait peut-être jamais ouvertement soustraite. Je l’avais aimée beaucoup, il est vrai, durant son martyre, et je ne m’étais pas volontairement trouvé au-dessous de la terrible épreuve ; mais je ne pouvais