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puis retourner auprès d’eux et y vivre indépendante, servie, caressée, remerciée, pardonnée, bénie ! À présent, tu es libre, cher ange ; tu peux me quitter sans remords et sans inquiétude ; tu n’as rien gâté, rien détruit dans ma vie. Au contraire, ce mari très-sage, ces amis très-craintifs du qu’en dira-t-on me ménageront d’autant plus qu’ils m’ont vue prête à tout rompre. Tu le vois, nous pouvons nous quitter sans qu’on raille nos éphémères amours. Henri lui-même, ce Génevois mal-appris, me fera amende honorable s’il me voit renoncer volontairement à ce qu’il appelle mon caprice. Eh bien, que veux-tu faire ? Réponds ! réponds donc ! à quoi songes-tu ?

Il est des moments dans les plus fatales destinées où la Providence nous tend la planche de salut et semble nous dire : « Prends-la, ou tu es perdu. » J’entendais cette voix mystérieuse au-dessus de l’abîme ; mais le vertige de l’abîme fut plus fort et m’entraîna.

— Alida, m’écriai-je, tu ne me fais pas cette offre-là pour que je l’accepte ? Tu ne le désires pas, tu n’y comptes pas, n’est-il pas vrai ?

— Tu m’as comprise, répondit-elle en se mettant à genoux devant moi, les mains dans mes mains et comme dans l’attitude du serment. Je t’appartiens, et le reste du monde ne m’est rien ! Tu es tout pour moi : mon père et ma mère qui m’ont quittée, mon mari que je quitte, et mes amis qui vont me maudire, et mes enfants qui vont m’oublier. « Tu es mes frères et mes sœurs, comme dit le poëte, et