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Croyez-moi, les vendeurs et les acheteurs sont les derniers dans l’échelle des êtres.

— C’est-à-dire que celui qui les rançonne est le roi de son siècle ?

— Eh ! pardieu, oui ! à lui seul, il faut qu’il soit plus malin que deux ! Vous êtes donc décidé à faire de l’esprit et à vendre des mots ? Eh bien, vous serez toujours misérable. Achetez pour revendre ou vendez pour racheter, il n’y a que cela au monde ; mais vous ne me comprenez pas et vous me méprisez. Vous dites : « Voilà un brocanteur, un usurier, un crocodile ! » Pas du tout, mon cher ; je suis un excellent homme, d’une probité reconnue ; j’ai la confiance de beaucoup de grands personnages. Des gens de mérite, des philanthropes, des savants même me consultent et reçoivent mes services. J’ai du cœur ; je fais plus de bien en un jour que vous n’en pourrez faire en vingt ans ; j’ai la main large, et molle, et douce ! Eh bien, ouvrez la vôtre si vous avez besoin d’un ami, et vous verrez ce que c’est qu’un bon juif qui est bête, mais qui n’est pas sot.

Je ne songeai pas à me fâcher de ce ton à la fois insolent et amical de protection bizarre. L’homme était réellement tout ce qu’il disait être, bête au point de blesser sans en avoir conscience, assez bon pour faire avec plaisir des sacrifices, fin au point d’être généreux pour se faire pardonner sa vanité. Je pris le parti de rire de son étrangeté, et, comme il vit que je n’avais aucun besoin de lui, mais que je le remerciais