Page:Sand - Valvèdre.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mon cher, vous me croirez si vous voulez, mais, depuis six mois, voici le premier repas que je fais. Vous avez bien vu qu’à Saint-Pierre je n’avais pas d’appétit. Outre ma mélancolie habituelle, j’avais l’amour en tête. Eh bien, la secousse d’aujourd’hui m’a guéri le corps en m’apaisant l’imagination. Vrai, je me sens tout autre, et l’idée que je fais enfin quelque chose de bon et de grand me relève au-dessus de ma vie ordinaire. N’en riez pas ! En feriez-vous autant a ma place ? Ce n’est pas sûr !… Vous autres beaux esprits, vous avez pour vous l’éloquence. Cela doit user le cœur à la longue !… Mais nous voilà seuls. Manassé ne reviendra pas sans que je le sonne, car, vous voyez, il y a là un cordon qui glisse sous les treilles et qui aboutit à sa maisonnette, dans l’enclos voisin. Parlez : que vouliez-vous me dire ? et pourquoi prétendez-vous que madame de Valvèdre ne peut pas venir ici ?

Je le lui expliquai sans détour. Il m’écouta avec toute l’attention possible comme s’il eût voulu s’aviser et s’instruire des délicatesses de l’amour ; puis il reprit la parole.

— Vous vous méprenez sur mes espérances, dit-il ; je n’en avais pas.

— Vous n’en aviez pas, et vous faisiez décorer cette maisonnette, vous choisissiez une à une les plus belles perles d’Orient ?…

— Je n’espérais rien de ces moyens-là, surtout depuis l’affaire de la bague. Faut-il vous répéter que, pour moi, je n’y voyais que des hommages désinté-