Page:Sand - Valvèdre.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moins j’y trouvai tous les enivrements, toutes les fumées de la vanité satisfaite.

C’était le moment d’être poëte, et je le fus en rêve. J’eus, en regardant la nature autour de moi, des éblouissements et des battements de cœur que je n’avais jamais éprouvés. Jusque-là, j’avais médité après coup sur la beauté des choses, après m’être enivré du spectacle qu’elles présentent. Il me sembla que ces deux opérations de l’esprit s’effectuaient en moi simultanément, que je sentais et que je décrivais tout ensemble. L’expression m’apparaissait comme mêlée au rayon du soleil, et ma vision était comme une poésie tout écrite. J’eus un tremblement de fièvre, une bouffée d’immense orgueil.

— Oui, oui ! m’écriai-je intérieurement, — et je parlais tout haut sans en avoir conscience, — je suis sauvé, je suis heureux, je suis artiste !

Il m’était rarement arrivé de me livrer à ces monologues, qui sont de véritables accès de délire, et, bien que j’eusse pris l’habitude, dans ces derniers temps, de réciter mes vers au bruit des cataractes, l’écho de ma voix et de ma prose dans ce lieu paisible m’effraya. Je regardai autour de moi instinctivement, comme si j’eusse commis une faute, et j’eus un véritable sentiment de honte en voyant que je n’étais pas seul. À trois pas de moi, un homme, penché sur le rocher, puisait de l’eau dans une tasse de cuir au filet d’une source, et cet homme, c’était celui que j’avais vu, deux heures plus tôt, sauvant l’enfant