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Vous aurez la vie triomphante et facile des hommes qui ne cherchent que le plaisir. Vous êtes dans le réel et dans le vrai, n’en soyez pas humilié. L’anonyme ne fait plus de vers, m’avez-vous dit : il a bien raison, puisque la poésie l’a quitté ! Il lui reste une honnête mission à remplir, celle de ne tromper personne.

C’était là une sorte d’appel à mon honneur, et l’idée ne me vint pas que je pusse être indigne même de la froide estime accordée comme un pis-aller. Je n’essayai ni de me justifier ni de m’excuser. Je restai muet et sombre. Alida me quitta, et bientôt je l’entendis causer avec Paule sur un ton de tranquillité apparente.

Mon cœur se brisa tout à coup. C’en était donc fait pour toujours de cette vie ardente à laquelle j’étais né depuis si peu de jours, et qui me semblait déjà l’habitude normale, le but, la destinée de tout mon être ? Non ! cela ne se pouvait pas ! Tout ce qu’Alida m’avait dit pour refouler ma passion, pour me faire rougir de mes aspirations violentes, ne servait qu’à en raviver l’intensité.

— Égoïste, soit ! me disais-je ; l’amour peut-il être autre chose qu’une expansion de personnalité irrésistible ? Si elle m’en fait un crime, c’est qu’elle ne partage pas mon trouble. Eh bien, je ne saurais m’en offenser. J’ai manqué d’initiative, j’ai été maladroit : je n’ai su ni parler ni me taire à propos. Cette femme exquise, blasée sur les hommages rendus à sa beauté, m’a pris pour un enfant sans cœur et sans force mo-