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fait venir là pour attester l’indisposition de sa maîtresse, s’en acquittait de son mieux pour seconder les intentions de Valentine. Mais M. de Lansac était fort peu persuadé, et trouvait assez ridicule que toutes ces femmes vinssent déjà glisser leur curiosité et leur influence dans les mystères de son ménage ; il résistait poliment, et jurait sur son honneur d’obéir à l’ordre que Valentine lui donnerait de vive voix de se retirer.

Bénédict, ayant atteint sans bruit cette porte, entendit toute la discussion, quoiqu’elle se fît à voix basse, dans la crainte d’attirer la comtesse, qui eût détruit d’un mot tout l’effet de cette négociation.

« Valentine aura-t-elle bien la force de prononcer cet ordre ? se demanda Bénédict. Oh ! je la lui donnerai, moi.

Et il s’avança de nouveau à tâtons vers un autre rayon de lumière plus faible qui rampait sous une porte fermée ; il y colla son oreille : c’était là ! Il le sentit au battement de son cœur et à la faible respiration de Valentine, qu’il n’était sans doute donné qu’à un homme passionné comme il l’était pour elle de saisir et de reconnaître.

Il s’appuyait, oppressé, haletant, contre cette porte, lorsqu’il lui sembla qu’elle cédait ; il la poussa et elle obéit sans bruit.

« Grand Dieu ! pensa Bénédict, toujours prêt à admettre tout ce qui pouvait le torturer, l’attendait-elle donc ? »

Il fit un pas dans cette chambre ; le lit était placé de manière à masquer la porte à la personne couchée. Une veilleuse brûlait dans son globe de verre mat. Était-ce bien là ? Il avança. Les rideaux étaient à demi relevés ; Valentine, toute habillée, sommeillait sur son lit. Son attitude témoignait assez de ses terreurs ; elle était assise sur le bord de sa couche, les pieds à terre ; sa tête succombant à la fatigue s’était laissée aller sur les coussins ; son visage était d’une pâleur effrayante, et l’on eût pu compter les pulsations de la fièvre sur les artères gonflées de son cou et de ses tempes.

Bénédict avait eu à peine le temps de se glisser derrière le dossier de ce lit et de se presser entre le rideau et la muraille lorsque les pas de Lansac retentirent dans le corridor.

Il venait de ce côté, il allait entrer. Bénédict tenait toujours son pistolet ; là l’ennemi ne pouvait lui échapper, il n’avait qu’un mouvement à faire pour l’étendre mort avant qu’il eût effleuré seulement le lin de la couche nuptiale.

Au bruit que fit Bénédict en se cachant, Valentine, éveillée en sursaut, jeta un faible cri et se redressa précipitamment ; mais, ne voyant rien, elle prêta l’oreille et distingua les pas de son mari. Alors elle se leva et courut vers la porte.

Ce mouvement faillit faire éclater Bénédict. Il sortit à demi de sa cachette pour aller brûler la cervelle à cette femme impudique et menteuse ; mais Valentine n’avait eu d’autre intention que de verrouiller sa porte.

Cinq minutes se passèrent dans le plus complet silence, au grand étonnement de Valentine et de Bénédict ; celui-ci s’était caché de nouveau, lorsqu’on frappa doucement. Valentine ne répondit pas ; mais Bénédict, penché hors des rideaux, entendit le bruit inégal de sa respiration entrecoupée ; il voyait son effroi, ses lèvres livides, ses mains crispées contre le verrou qui la défendait.

« Courage, Valentine ! allait-il s’écrier, nous sommes deux pour soutenir l’assaut ! » lorsque la voix de Catherine se fit entendre.

— Ouvrez, Mademoiselle, disait-elle ; n’ayez plus peur ; c’est moi, je suis seule. Monsieur est parti ; il s’est rendu aux raisons de madame la marquise et à la prière que je lui ai faite en votre nom de se retirer. Oh ! nous vous avons faite bien plus malade que vous n’êtes, j’espère, ajouta la bonne femme en entrant et recevant Valentine dans ses bras. N’allez pas vous aviser de l’être aussi sérieusement que nous nous en sommes vantées, au moins !

— Oh ! tout à l’heure je me sentais mourir, répondit Valentine en l’embrassant ; mais à présent je suis mieux, tu m’as sauvée encore pour quelques heures. Après, que Dieu me protège !

— Eh ! mon Dieu, chère enfant ! dit Catherine, quelles idées avez-vous donc ? Allons, couchez-vous. Je passerai la nuit auprès de vous.

— Non, Catherine, va te reposer. Voici bien des nuits que je te fais passer. Va-t’en ; je l’exige. Je suis mieux ; je dormirai bien. Seulement enferme-moi, prends la clef, et ne te couche que lorsque toute la maison sera fermée.

— Oh ! n’ayez pas peur. Tenez, voici qu’on ferme déjà ; n’entendez-vous pas rouler la grosse porte ?

— Oui, c’est bien. Bonsoir, nourrice, ma bonne nourrice !

La nourrice fit encore quelques difficultés pour se retirer ; elle craignait que Valentine ne se trouvât plus mal dans la nuit. Enfin elle céda et se retira après avoir fermé la porte, dont elle emporta la clef.

— Si vous avez besoin de quelque chose, cria-t-elle du dehors, vous me sonnerez ?

— Oui, sois tranquille, dors bien, répondit Valentine.

Elle tira les verrous, et, secouant ses cheveux épars, elle posa les mains sur son front, en respirant fortement