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main ; tout en traçant des lignes destinées à sa sœur, il lui semblait que le messager qui devait s’en charger n’était pas loin. Le moindre bruit dans la campagne, le trot d’un cheval, la voix d’un chien la faisait tressaillir ; elle se levait et courait à la fenêtre ; appelant dans son cœur Louise et Bénédict ; car Bénédict, ce n’était pour elle, du moins elle le croyait ainsi, qu’une partie de sa sœur détachée vers elle.

Comme elle commençait à se lasser de cette émotion involontaire et cherchait à en distraire sa pensée, cette voix si belle et si pure, cette voix de Bénédict, qu’elle avait entendue la nuit sur les bords de l’Indre, vint de nouveau charmer son oreille. La plume tomba de ses doigts ; elle écouta, ravie, ce chant naïf et simple qui avait tant d’empire sur ses nerfs. La voix de Bénédict partait d’un sentier qui tournait en dehors du parc sur une colline assez rapide. Le chanteur, se trouvant élevé au-dessus des jardins, pouvait faire entendre distinctement ces vers de sa chanson villageoise, qui renfermaient peut-être un avertissement pour Valentine :

Bergère Solange, écoutez. L’alouette aux champs vous appelle.

Valentine était assez romanesque ; elle ne pensait pas l’être parce que son cœur vierge n’avait pas encore conçu l’amour. Mais lorsqu’elle croyait pouvoir s’abandonner sans réserve à un sentiment pur et honnête, sa jeune tête ne se défendait point d’aimer tout ce qui ressemblait à une aventure. Élevée sous des regards si rigides, dans une atmosphère d’usages si froids et si guindés, elle avait si peu joui de la fraîcheur et de la poésie de son âge !

Collée au store de sa fenêtre, elle vit bientôt Bénédict descendre le sentier. Bénédict n’était pas beau ; mais sa taille était remarquablement élégante. Son costume rustique, qu’il portait un peu théâtralement, sa marche légère et assurée sur le bord du ravin, son grand chien blanc tacheté qui bondissait devant lui, et surtout son chant, assez flatteur et assez puissant pour suppléer chez lui à la beauté du visage, toute cette apparition dans une scène champêtre qui, par les soins de l’art, spoliateur de la nature, ressemblait assez à un décor d’opéra, c’était de quoi émouvoir un jeune cerveau, et donner je ne sais quel accessoire de coquetterie au prix de la missive.

Valentine fut bien tentée de s’enfoncer dans le parc, d’aller ouvrir une petite porte qui donnait sur le sentier, de tendre une main avide vers la lettre qu’elle croyait déjà voir dans celle de Bénédict. Tout cela était assez imprudent. Une pensée plus louable que celle du danger la retint : ce fut la crainte de désobéir deux fois en allant au-devant d’une aventure qu’elle ne pouvait pas repousser.

Elle résolut donc d’attendre un nouvel avertissement pour descendre, et bientôt une grande rumeur de chiens animés les uns contre les autres fit glapir tous les échos du préau. C’était Bénédict qui avait mis le sien aux prises avec ceux de la maison, afin d’annoncer son arrivée de la manière la plus bruyante possible.

Valentine descendit aussitôt ; son instinct lui fit deviner que Bénédict se présenterait de préférence à la marquise, comme étant la plus abordable. Elle rejoignit donc sa grand’mère, qui avait coutume de faire la sieste sur le canapé du salon, et, après l’avoir doucement éveillée, elle prit un prétexte pour s’asseoir à ses côtés.

Au bout de quelques minutes, un domestique vint annoncer que le neveu de M. Lhéry demandait à présenter son respect et son gibier à la marquise.

— Je me passerais bien de son respect, répondit la vieille folle, mais que son gibier soit le bienvenu. Faites entrer.





X


En voyant paraître ce jeune homme dont elle se savait complice et qu’elle allait encourager, sous les yeux de sa grand’mère, à lui remettre un secret message, Valentine eut un remords. Elle sentit qu’elle rougissait, et le pourpre de ses joues alla se refléter sur celles de Bénédict.

— Ah ! c’est toi, mon garçon ! dit la marquise qui étalait sur le sofa sa jambe courte et replète avec des grâces du temps de Louis XV. Sois le bienvenu. Comment va-t-on à la ferme ? Et cette bonne mère Lhéry ? et cette jolie petite cousine ? et tout le monde ?

Puis, sans se soucier de la réponse, elle enfonça la main dans la carnassière que Bénédict détachait de son épaule.

— Ah ! vraiment, c’est fort beau, ce gibier-là ! Est-ce toi qui l’as tué ? On dit que tu laisses un peu braconner le Trigaud sur nos terres ? Mais voilà de quoi te faire absoudre…

— Ceci, dit Bénédict en tirant de son sein une petite mésange vivante, je l’ai prise au filet par hasard. Comme elle est d’une espèce rare, j’ai pensé que mademoiselle, qui s’occupe d’histoire naturelle, la joindrait à sa collection.

Et, tout en remettant le petit oiseau à Valentine, il affecta d’avoir beaucoup de peine à le glisser dans ses doigts sans le laisser échapper. Il profita de ce moment pour lui remettre la lettre. Valentine s’ap-