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vigoureuses, que ne mutilait jamais le ciseau du jardinier, s’entre-croisaient sur les allées jusqu’à les rendre impraticables. Valentine accrochait sa longue jupe d’amazone à toutes les épines ; l’obscurité profonde de toute cette libre végétation augmentait son embarras, et l’émotion violente qu’elle éprouvait dans un tel moment lui ôtait presque la force de marcher.

— Si vous voulez me donner la main, lui dit son guide, nous irons plus vite.

Valentine avait perdu son gant dans cette agitation ; elle mit sa main nue dans celle de Bénédict. Pour une jeune fille élevée comme elle, c’était une étrange situation. Le jeune homme marchait devant elle, l’attirait doucement après lui, écartant les branches avec son autre bras pour qu’elles ne vinssent pas fouetter le visage de sa belle compagne.

— Mon Dieu ! comme vous tremblez ! lui dit-il en lâchant sa main lorsqu’ils eurent atteint un endroit découvert.

— Ah ! Monsieur, c’est de joie et d’impatience, répondit Valentine.

Il restait encore un obstacle à franchir. Bénédict n’avait pas la clef du jardin ; il fallut, pour en sortir, sauter une haie vive. Il lui proposa de l’aider, et il fallut bien accepter. Alors le neveu du fermier prit dans ses bras la fiancée du comte de Lansac. Il porta des mains émues sur sa taille charmante. Il respira de près son haleine entrecoupée ; et cela dura assez longtemps, car la haie était large, hérissée de joncs épineux, les pierres du glacis croulaient, et Bénédict n’avait pas bien toute sa présence d’esprit.

Cependant, telle est la pudique timidité de cet âge ! son imagination alla beaucoup moins loin que la réalité, et la peur de manquer à sa conscience lui ôta le sentiment de son bonheur.

Arrivé à la porte de la maison, Bénédict poussa le loquet sans bruit, fit entrer Valentine dans la salle basse, et s’approcha du foyer à tâtons. Il eut bientôt allumé un flambeau, et, montrant à mademoiselle de Raimbault un escalier de bois assez semblable à une échelle, il lui dit :

— C’est là.

Il se jeta sur une chaise, s’installa en sentinelle, et la pria de ne pas rester plus d’un quart d’heure avec Louise.

Fatiguée de sa longue course de la matinée, Louise s’était endormie de bonne heure. La petite chambre qu’elle occupait était une des plus mauvaises de la ferme ; mais comme elle passait pour une pauvre parente que les Lhéry avaient longtemps assistée en Poitou, elle n’avait pas voulu qu’on détruisît l’erreur des domestiques du fermier en lui faisant une réception brillante. Elle s’était volontairement accommodée d’une sorte de petit grenier dont la lucarne donnait sur le plus ravissant aspect de prairies et d’îlots, coupé par les sinuosités de l’Indre et planté des plus beaux arbres. On lui avait composé à la hâte un assez bon lit sur un méchant grabat ; des bottes de pois séchaient sur une claie, des grappes d’oignons dorés pendaient au plancher, des pelotons de fil bis dormaient au fond d’un dévidoir invalide. Louise, élevée dans l’opulence, trouvait du charme dans ces attributs de la vie champêtre. À la grande surprise de madame Lhéry, elle avait voulu laisser à sa chambrette cet air de désordre et d’encombrement rustique qui lui rappelait les peintures flamandes de Van-Ostade et de Gérard Dow. Mais les objets qu’elle aimait le mieux dans ce modeste réduit, c’était un