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bourdonnaient des volées d’amoureux, il essaya de lui faire comprendre, par ses signes et par ses regards, qu’elle s’abandonnait trop à sa pétulance naturelle. Athénaïs ne s’en aperçut point ou ne voulut point s’en apercevoir. Bénédict prit de l’humeur, haussa les épaules, et quitta la fête. Il trouva dans l’auberge le valet de ferme de son oncle, qui s’était rendu là sur la petite jument grise que Bénédict montait ordinairement. Il le chargea de ramener le soir M. Lhéry et sa famille dans la patache, et, s’emparant de sa monture, il reprit seul le chemin de Grangeneuve à l’entrée de la nuit.





V


Valentine, après avoir remercié Bénédict par un salut gracieux, quitta la danse, et, se tournant vers la comtesse, elle comprit à sa pâleur, à la contraction de ses lèvres, à la sécheresse de son regard, qu’un orage couvait contre elle dans le cœur vindicatif de sa mère. M. de Lansac, qui se sentait responsable de la conduite de sa fiancée, voulut lui épargner les âcres reproches du premier moment, et, lui offrant son bras, il suivit avec elle, à une certaine distance, madame de Raimbault, qui entraînait sa belle-mère et se dirigeait vers le lieu où l’attendait sa calèche. Valentine était émue, elle craignait la colère amassée sur sa tête ; M. de Lansac, avec l’adresse et la grâce de son esprit, chercha à la distraire, et, affectant de regarder ce qui venait de se passer comme une niaiserie, il se chargea d’apaiser la comtesse. Valentine, reconnaissante de cet intérêt délicat qui semblait l’entourer toujours sans égoïsme et sans ridicule, sentit augmenter l’affection sincère que son futur époux lui inspirait.

Cependant la comtesse, outrée de n’avoir personne à quereller, s’en prit à la marquise sa belle-mère. Comme elle ne trouva pas ses gens au lieu indiqué parce qu’ils ne l’attendaient pas si tôt, il fallut faire quelques tours de promenade sur un chemin poudreux et pierreux, épreuve douloureuse pour des pieds qui avaient foulé des tapis de cachemire dans les appartements de Joséphine et de Marie-Louise. L’humeur de la comtesse en augmenta ; elle repoussa presque la vieille marquise, qui, trébuchant à chaque pas, cherchait à s’appuyer sur son bras.

— Voilà une jolie fête, une charmante partie de plaisir ! lui dit-elle. C’est vous qui l’avez voulu ; vous m’avez amenée ici à mon corps défendant. Vous aimez la canaille, vous ; mais, moi, je la déteste. Vous êtes-vous bien amusée, dites ? Extasiez-vous donc sur les délices des champs ! Trouvez-vous cette chaleur bien agréable ?

— Oui, oui, répondit la vieille, j’ai quatre-vingts ans.

— Moi, je ne les ai pas ; j’étouffe. Et cette poussière, ces grès qui vous percent la plante des pieds ! Tout cela est gracieux !

— Mais, ma belle, est-ce ma faute, à moi, s’il fait chaud, si le chemin est mauvais, si vous avez de l’humeur ?

— De l’humeur ! vous n’en avez jamais, vous, je le conçois, ne vous occupant de rien, laissant agir votre famille comme il plaît à Dieu. Aussi, les fleurs dont vous avez semé votre vie ont porté leurs fruits, et des fruits précoces, on peut le dire.

— Madame, dit la marquise avec amertume, vous êtes