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travers la fête, bras dessus bras dessous avec la noble fille des comtes de Raimbault. Quoiqu’elle affectât de trouver la chose toute naturelle et que Valentine la comprît ainsi, il lui fut impossible de cacher le triomphe de sa joie orgueilleuse en face de ces autres femmes qui l’enviaient en s’efforçant de la dénigrer.

Cependant la vielle donna le signal de la bourrée. Athénaïs s’était engagée cette fois à la danser avec celui des jeunes gens qui l’avait arrêtée sur le chemin. Elle pria mademoiselle de Raimbault de lui servir de vis-à-vis.

— J’attendrai pour cela qu’on m’invite, répondit Valentine en souriant.

— Eh bien donc ! Bénédict, s’écria vivement Athénaïs, allez inviter mademoiselle.

Bénédict intimidé consulta des yeux le visage de Valentine. Il lut dans sa douce et candide expression le désir d’accepter son offre. Alors il fit un pas vers elle. Mais tout à coup la comtesse sa mère lui saisit brusquement le bras en lui disant assez haut pour que Bénédict pût l’entendre :

— Ma fille, je vous défends de danser la bourrée avec tout autre qu’avec M. de Lansac.

Bénédict remarqua alors pour la première fois un grand jeune homme de la plus belle figure, qui donnait le bras à la comtesse ; et il se rappela que ce nom était celui du fiancé de mademoiselle de Raimbault.

Il comprit bientôt le motif de l’effroi de sa mère. À un certain trille que la vielle exécute avant de commencer la bourrée, chaque danseur, selon un usage immémorial, doit embrasser sa danseuse. Le comte de Lansac, trop bien élevé pour se permettre cette liberté en public, transigea avec la coutume du Berri en baisant respectueusement la main de Valentine.

Ensuite le comte essaya quelques pas en avant et en arrière ; mais sentant aussitôt qu’il ne pouvait saisir la mesure de cette danse, qu’il n’est donné à aucun étranger de bien exécuter, il s’arrêta et dit à Valentine :

— À présent, j’ai fait mon devoir, je vous ai installée ici selon la volonté de votre mère ; mais je ne veux pas gâter votre plaisir par ma maladresse. Vous aviez un danseur tout prêt il y a un instant, permettez que je lui cède mes droits.

Et se tournant vers Bénédict :

— Voulez-vous bien me remplacer, Monsieur ? lui dit-il avec un ton d’exquise politesse. Vous vous acquitterez de mon rôle beaucoup mieux que moi.

Et comme Bénédict, partagé entre la timidité et l’orgueil, hésitait à prendre cette place, dont on lui avait ravi le plus beau droit :

— Allons, Monsieur, ajouta M. de Lansac avec aménité, vous serez assez payé du service que je vous demande, et c’est à vous peut-être à m’en remercier.

Bénédict ne se fit pas prier plus longtemps ; la main de Valentine vint sans répugnance trouver la sienne qui tremblait. La comtesse était satisfaite de la manière diplomatique dont son futur gendre avait arrangé l’affaire ; mais tout d’un coup le joueur de vielle, facétieux et goguenard comme le sont les vrais artistes, interrompt le refrain de la bourrée, et fait entendre avec une affectation maligne le trille impératif. Il est enjoint au nouveau danseur d’embrasser sa partenaire. Bénédict devient pâle et perd contenance. Le père Lhéry, épouvanté de la colère qu’il lit dans les yeux de la comtesse, s’élance vers le vielleux et le conjure de passer outre. Le musicien villageois n’écoute rien, triomphe au milieu des rires et des bravos, et s’obstine à ne reprendre l’air qu’après la formalité de rigueur. Les autres danseurs s’impatientent. Madame de Raimbault se prépare à emmener sa fille. Mais M. de Lansac, homme de cour et homme d’esprit, sentant tout le ridicule de cette scène, s’avance de nouveau vers Bénédict avec une courtoisie un peu moqueuse :

— Eh bien, Monsieur, lui dit-il, faudra-t-il encore vous autoriser à prendre un droit dont je n’avais pas osé profiter ? Vous n’épargnez rien à votre triomphe.

Bénédict imprima ses lèvres tremblantes sur les joues veloutées de la jeune comtesse. Un rapide sentiment d’orgueil