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Elle écrivit à Bénédict :

« Je vous supplie de ne point chercher à me voir durant cette quinzaine, que je vais passer dans la famille Lhéry. Comme vous n’êtes point entré à la ferme depuis le mariage d’Athénaïs, vous n’y sauriez reparaître maintenant sans afficher nos relations. Quelque invité que vous puissiez l’être par madame Lhéry, qui regrette toujours votre désunion apparente, refusez, si vous ne voulez m’affliger beaucoup. Adieu ; je ne sais point ce que je deviendrai, j’ai quinze jours pour m’en occuper. Quand j’aurai décidé de mon avenir, je vous le ferai savoir, et vous m’aiderez à le supporter, quel qu’il soit. V. »

Ce billet jeta une profonde terreur dans l’esprit de Bénédict ; il crut y voir cette décision tant redoutée qu’il avait fait révoquer si souvent à Valentine, mais qui, à la suite de tant de chagrins, devenait peut-être inévitable. Abattu, brisé sous le poids d’une vie si orageuse et d’un avenir si sombre, il se laissa aller au découragement. Il n’avait même plus l’espoir du suicide pour le soutenir. Sa conscience avait contracté des engagements envers le fils de Louise ; et puis, d’ailleurs, Valentine était trop malheureuse pour qu’il voulût ajouter ce coup terrible à tous ceux dont le sort l’avait frappée. Désormais qu’elle était ruinée, abandonnée, navrée de chagrins et de remords, son devoir, à lui, était de vivre pour s’efforcer de lui être utile et de veiller sur elle en dépit d’elle-même.

Louise avait enfin vaincu cette folle passion qui l’avait si longtemps torturée. La nature de ses liens avec Bénédict, consolidée et purifiée par la présence de son fils, était devenue calme et sainte. Son caractère violent s’était adouci à la suite de cette grande victoire intérieure. Il est vrai qu’elle ignorait complètement le malheur qu’avait eu Bénédict d’être trop heureux avec Valentine ; elle s’efforçait de consoler celle-ci de ses pertes, sans savoir qu’elle en avait fait une irréparable, celle de sa propre estime. Elle passait donc tous ses instants auprès d’elle, et ne comprenait pas quelles nouvelles anxiétés pesaient sur Bénédict.

La jeune et vive Athénaïs avait personnellement souffert de ces derniers événements, d’abord parce qu’elle aimait sincèrement Valentine, et puis parce que le pavillon fermé, les douces réunions du soir interrompues, le petit parc abandonné pour jamais, gonflaient son cœur d’une amertume indéfinissable. Elle s’étonnait elle-même de n’y pouvoir songer sans soupirer ; elle s’effrayait de la longueur de ses jours et de l’ennui de ses soirées.

Évidemment il manquait à sa vie quelque chose d’important, et Athénaïs, qui touchait à peine à sa dix-huitième année, s’interrogeait naïvement à cet égard sans oser se répondre. Mais, dans tous ses rêves, la blonde et noble tête du jeune Valentin se montrait parmi des buissons chargés de fleurs. Sur l’herbe des prairies, elle croyait courir poursuivie par lui ; elle le voyait grand, élancé, souple comme un chamois, franchir les haies pour l’atteindre ; elle folâtrait avec lui, elle partageait ses rires si francs et si jeunes ; puis elle rougissait elle-même en voyant la rougeur monter sur ce front candide, en sentant cette main frêle et blanche brûler en touchant la sienne, en surprenant un soupir et un regard mélancolique à cet enfant, dont elle ne voulait pas se méfier. Toutes les agitations timides d’un amour naissant, elle les ressentait à son insu. Et quand elle s’éveillait, quand elle trouvait à son côté ce Pierre Blutty, ce paysan si rude, si brutal en amour, si dépourvu d’élégance et de charme, elle sentait son cœur se serrer et des larmes venir au bord de ses paupières. Athénaïs avait toujours aimé l’aristocratie ; un langage élevé, lors même qu’il était au-dessus de sa portée et de son intelligence, lui semblait la plus puissante des séductions. Lorsque Bénédict parlait d’arts ou de sciences, elle l’écoutait avec admiration, parce qu’elle ne le comprenait pas. C’était par sa supériorité en ce genre qu’il l’avait longtemps dominée. Depuis qu’elle avait pris son parti de renoncer à lui, le jeune Valentin, avec sa douceur, sa retenue, la majesté féodale de son beau profil, son aptitude